libre? par sophie samama

Publié le par lcdc

je suis dans le train qui me ramène à Marseille

je suis comme chaque voyageur mais pas tout à fait,

ce qui me distingue, c'est que je dois être la seule personne à ne pas avoir de portable sur moi

OUI je suis dé - munie de cet / mon objet transitionnel

NON je n'avertirai personne du départ à l'heure de mon train, je n'avertirai personne de son entrée en gare, je n'enverrai pas de sms, je n'en recevrai pas , je n'en attendrai pas.

je suis juste assise dans le train, en mouvement, en vacance.

sur le moment je n'ai pas pensé l'avoir fait exprès, je l'ai juste oublié hier matin dans un taxi.

mais je l'ai juste oublié après avoir suivi un débat de chercheurs sur les surveillances, les dispositifs de contrôle et leur utilisation.

j'ai déjà potentiellement retrouvé mon portable, pisté le chauffeur qui me le remettra à mon retour.

je suis tranquille puisque rien de ce qui est contenu dans cette boîte magique n'est perdu.

j'ai oublié mon téléphone comme un lapsus

il y a la personne qui me connait et qui m'a vue en dernier au moment où je franchissais le portillon du métro à St Germain.

depuis je suis injoignable, incontrôlable (si on exclut le contrôleur du train qui ne contrôle que mon billet)

je n'ai aucune décision à prendre : mettre en silencieux, avertir mes proches, contacter ou ne pas contacter

je ne suis pas coupable puisque je l'ai oublié

présumée innocente

j'ai largué les amarres, quitté l'océan d'obligations contenues dans le téléphone, un étonnant sentiment de liberté.

 

A mon retour et malgré toutes ces agréables sensations, je m'empresse de retrouver le taxi pour récupérer mon bien.

Et oui mon portable j'y suis attachée autant qu'il me lie.

Le chauffeur m'annonce avec un grand sourire qu'il a fait le secrétaire pour moi, répondu à mes coups de téléphone, rappelé ceux qu'il avait raté en écoutant mes messages et même rechargé la batterie.

Je suis estomaquée et pour ne pas entamer avec lui un débat qui n'aurait pas d'issue au vu de sa franchise à me citer ses actions en gentillesse, je reprends mon bien.

Comme après un cambriolage, j'examine l'objet à la recherche d'indices sur ce que j'ai perdu pendant mes heures de liberté.  Ne trouvant aucun message m'indiquant des sms reçus, je fouille ma messagerie qui me révéle l'indiscrétion totale de mon chauffeur. Il a receptionné mes messages, les a ouverts et sans doute lus pour qu'ils soient ainsi archivés.

Pendant que je me croyais libre, j'ai été épiée, scrutée dans ma vie privée par un parfait inconnu. 

présumé coupable

Extrait de la présentation des chercheurs : "... ensuite, la notion de surveillance, qui implique un acte intentionnel plus délibéré d'utilisation de dispositifs de contrôle, demande aussi un éclaircissement quand on la relie à la prise d'information à l'insu des personnes."

Publié dans Art de vivre

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